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Essais de réadaptation

Mon premier flirt
Je refais un essai en classe de philo
Je vais dans une clinique psychiatrique privée
Je vais dans une maison de repos
Je deviens "pion" dans un collège et noue une relation affective
Au centre de formation professionnelle pour adultes
Au travail !
Je cherche un nouveau thérapeute
Mon thérapeute meurt
J'essaye un thérapeuthe Jungien.
Je me recycle dans la comptabilité



Mon premier flirt

Ma tante avait une amie qui avait une fille de mon âge, avec qui je me liai d'amitié.
Elle n'allait pas non plus au lycée, suivait chez elle des cours par correspondance.
Comme j'étais libre, j'allais souvent la rejoindre, nous bavardions et nous promenions ensemble.
Nous avions sur la littérature et la société des regards assez semblables, et une sorte d'intimité s'installa.

Un jour que nous étions chez elle, proches l'un de l'autre, nos joues se touchèrent, nos lèvres se cherchèrent, et nous eûmes un baiser très puissant.
Nous devînmes rouges des pieds à la tête, et nous entendions sa mère arriver dans l'escalier.
Nous avions peur qu'elle s'en apperçoive rien qu'à nos têtes. Mais elle ne dit rien.

De ce fait, notre amitié fut changée en flirt. Pour moi, ainsi que pour elle, c'était la première fois.
Mais je voulais davantage, et pas elle.
D'abord, elle se trouvait moche, trouvait qu'elle avait un grand nez et de trop petits seins.
Elle se cachait le nez de la main, et ne voulait surtout pas que je touche ses seins.
Un jour je la forçai et touchai quand même ses seins.
Elle me dit "Tu ne m'aimes pas", et dès lors devint froide à mon égard.
A mon grand étonnement le baiser que je lui fis ensuite n'avait plus de saveur, et même elle me mordait, sans doute parce qu'elle m'en voulait.

Je ne retrouvai jamais la saveur et la puissance de ce premier baiser, c'est encore un de mes grands regrets.

Il y eut aussi un autre litige : Une fois que nous étions allés nous promener au bord de la rivière, nous nous allongeâmes sur la rive, et elle voulut se mettre sur moi.
Sentis-je ma prééminence de mâle mise en défaut ? Toujours est -il que je n'acceptai pas, et voulus au contraire me mettre sur elle. elle n'accepta pas non plus, et nous quittâmes la rivière, fâchés l'un contre l'autre.

La fin de l'année scolaire arrivait et je la quittai pour retourner à Bordeaux, lui disant que je ne voulais plus flirter dans ces conditions, mais voulais bien rester ami.

Une fois là bas je lui envoyai des lettres, en y faisant même des dessins, (ce qui pour moi est exceptionnel, je suis très mauvais dessinateur), mais elle ne répondait jamais.
Elle me dit que c'était parce que ses lettres auraient été moins bien que les miennes. Alors j'arrêtai de lui écrire.

Je l'ai revue récemment. Elle a fait des études de psycho mais ne s'en est pas servie.
Elle vit encore seule avec sa mère, qui est maintenant une très vieille dame.
Elle ne sort que le soir, car elle ne veut rencontrer personne.
Quand je lui ai rappelé notre aventure amoureuse, elle m'a dit que cela n'était rien, rien du tout, que cela était sans intérêt.
Je ne suis pas d'accord.

Je refais un essai en classe de philo

A Bordeaux je m'inscrivis dans un lycée de Banlieue, à Talence, pour éviter de retrouver l'atmosphère étouffante du lycée Montaigne.
C'était un lycée mixte, ouvert, dans un environnement boisé, l'atmosphère y était agréable et détendue.
Je remarquai tout de suite que les garçons ne se comportaient pas aussi bêtement et d'une manière aussi grossière qu'à Montaigne (qui était pour garçons uniquement).
Ils étaient même très bien, tout à fait normaux. Sans doute la présence des filles.
J'étais à nouveau en classe de philo. Je n'étais manifestement toujours pas capable de reprendre des matières scientifiques du niveau de mathématiques élémentaires.
Je pensais que peut-être je serais capable de suivre le rythme plus "soft" de la classe de philosophie.
Mais il n'en fut rien. J'arrivais à suivre les cours, mais pas à mémoriser, ni à faire les devoirs à la maison.
Au bout de quelques mois j'abandonnai, et se posa à nouveau le problème du traitement médical.

Je vais dans une clinique psychiatrique privée

Il fallait trouver quelqu'un d'autre que le docteur Blanc, puisque ses soins n'avaient pas réussi.
On m'orienta vers une clinique privée spécialisée en psychiatrie, Béthanie.
Elle regorgeait de monde, le patron recevait chaque jour un défilé ininterrompu de malades.
Dès les premiers moments j'eus dans cet endroit une mauvaise impression.
Je demandai à ma mère de ne pas rester là. Mais elle me dit "si, reste, il faut tout essayer !". Je restai donc.

Les conditions matérielles étaient plus sélect. Le midi, cela ne faisait plus cantine, mais restaurant. Nous étions à des petites tables à deux ou trois, des serveuses habillées avec de jolis tabliers nous apportaient des mets élaborés, chaque fois dans une assiette différente, bien chaude.
Nous n'étions pas enfermés à clé dans nos chambres et pouvions aller librement dans le salon et dans le parc agréablement paysagé.
Nous y faisions des parties de boules, et même une fois un pensionnaire a jeté la sienne trop fort, elle est passée par dessus le mur et est allée frapper une voiture garée derrière !

Mais il n'y avait pas l'ambiance joyeuse de l’hôpital.
Le directeur n'utilisait pas les mêmes traitements. Il ne voulait pas de scandale dans sa maison.
Je l'ai entendu le dire texto à une dame qui piquait une petite crise.
Il la tenait par le bras et l'entraînait fermement vers sa chambre : "pas de ça chez moi".
Pour garder ses patients tranquilles, il utilisait des traitements assez forts.
Il utilisait journellement l'électro-choc, et pour ma part j'eus droit (allez savoir pourquoi ?) au traitement à l'insuline.
Le matin on me faisait une piqûre d'insuline qui faisait descendre le taux de glucose dans mon sang, ce qui me plongeait dans un coma profond. Quand je me réveillais au bout de quelques heures, on me servait un petit déjeuner très sucré, que j'avalais avec délectation, et avidité.
C'était le seul avantage que je voyais pour le moment à ce traitement.

Quand nous avions vu le directeur pour mon admission, il avait simplement dit que mon cas était très avancé et qu'il ne pouvait rien promettre quand à une guérison, que simplement il ferait ce qu'il pourrait.
Il ne donnait pas grand espoir. Cela semblait honnête, mais peu encourageant.

J'entendis dire qu'on pouvait aller voir le directeur à tout moment, pour lui parler.
Je profitai de cette possibilité car une grave question me préoccupait, me torturait, presque : J'étais amoureux d'une petite fille de cinq ans plus jeune que moi, une fille du couple chez qui j'avais vécu à l'Ile d'Oléron.
Etait-ce bien correct d'être amoureux d'une fille si jeune ?
Je lui exposai mon problème et il m'écouta (?) de derrière son bureau, le nez baissé sur ses papiers et en tournant les pages. De temps en temps il disait, toujours sans me regarder : "et après, et après ?"
Je fus interloqué de son attitude et avais l'impression de parler à personne.
Quand je n'eus plus rien à dire, il ne me donna évidemment pas de réponse et me dit au revoir.
Je n'eus plus jamais envie de lui parler.

J'eus droit à 90 comas insuliniques, un chaque matin pendant trois mois, et au bout de cela mon état ne s'était pas amélioré, au contraire : J'avais énormément grossi - j'étais devenu bouffi - c'était la première fois de ma vie, moi qui suis naturellement mince, je ne me reconnaissais pas.
Et surtout j'avais l'impression d'être devenu comme une sorte de zombie.
Mon cerveau fonctionnait encore moins, et j'avais perdu l'espoir, j'étais même plutôt désespéré.

Ce n'était pas le directeur qui allait m'en donner, de l'espoir. A ma sortie, il me dit qu'il fallait renoncer à l'idée de reprendre mes études. Qu'il fallait que je suive une formation professionnelle adaptée à mon état, mais avant que j'aille passer quelque temps dans une maison de repos.

Je commençai à me dire que la médecine m'avait laissé tomber, parce qu'en fin de compte elle ne pouvait rien pour moi, qu'elle avait essayé quelque chose, sans doute un peu au hasard, et que cela n'avait pas marché, cela avait même empiré mon état premier.

Je vais dans une maison de repos

J'atterris dans une maison de repos dans la tranquille campagne bordelaise.
C'était un grand établissement à l'esprit assez jeune, j'avais l'impression d'être en colonie de vacances.
Il y avait tous les âges.
Je me retrouvai à partager ma chambre avec un jeune homme musicien professionnel, pianiste de bar.
Il était agréable et joyeux, et me racontait ses folles soirées, de type : "cigarettes, alcool et petites pépées".
Il était là parce qu'il s'y était trop fatigué.
Nous faisions la sieste obligatoire tous les après-midis, nos changements d'activités étaient marqués par de la musique entraînante au haut-parleur.

Je restai là quelques mois, puis on me dit qu'on ne pouvait plus rien pour moi, que j'avais atteint l'âge de 20 ans, que la "sécu" ne me couvrait plus par l'intermédiaire de mes parents, et qu'il fallait que je gagne ma vie.

Je deviens "pion" dans un collège et noue une relation affective

Par relations, mes parents me trouvèrent une place de "pion" dans un collège près de Bourges, ma ville natale, à Dun sur Auron.
Cela me plaisait d'être en relation avec des enfants, mais en même temps je m'ennuyais ferme dans ce petit bourg de province qui me semblait totalement désert, et où je ne rencontrais personne.
En repassant par Bordeaux, j'avais noué une relation proche avec la fille d'amis de la famille, elle était allée sur Paris, et j'échangeais une correspondance régulière avec elle.
Le lien se fit plus fort et j'allai la voir sur place.
Nous eûmes un baiser mais il ne fut pas pour moi "érotique" comme celui de mon premier flirt, il fut neutre et cela me troubla.
Y avait-il en moi quelque chose de détraqué dans ce domaine ?
Néanmoins le lien affectif était fort et nous continuâmes d'être en relation, au point qu'à la fin de mon année scolaire je décidai d'abandonner la surveillance d'internat pour la rejoindre en région parisienne.

J'allai voir avec elle un conseiller d'orientation qui approuva nos projets :
Pour moi d'entreprendre une formation en maçonnerie, avec l'objectif ultérieur de devenir chef de chantier.
Pour elle, de mener à son terme la formation de secrétariat qu'elle avait déjà entamée.

Au centre de formation professionnelle pour adultes

Je me retrouvai donc à Lardy, en grande banlieue sud de Paris, pour apprendre en un an le métier de maçon.
Jusque là j'avais toujours fréquenté les lycées et collèges, et je fus très surpris et désorienté de la psychologie de mes nouveaux camarades de classe.
Ils ne parlaient que d'argent et de choses concrètes.
J'établis cependant des liens très amicaux et solidaires avec mes compagnons de chambrée et d'atelier, il y avait une unité entre nous, et c'était très agréable.
Il y avait toutes sortes de personnes, de toutes nationalités et de tous âges, et ces différences étaient enrichissantes sur le plan des échanges.
L'ambiance était plutôt gaie et joyeuse.
J'aidais ceux qui ne savaient pas à faire les calculs arithmétiques de base.
Mais mes capacités logiques étaient toujours très affaiblies, car à l'examen de fin d'année, il fallut que ce soit un de mes compagnons qui monte pour moi mon mur de briques, pendant que l'examinateur (C'était notre professeur !) tournait ostensiblement le dos.
J'eus de cette façon mon C.A.P. de maçon.

Au travail !

Le centre de formation n'eut pas de mal à nous procurer des emplois.
L'industrie du bâtiment était très demandeuse de main d'oeuvre, et j'intéressais particulièrement les employeurs par ma culture générale, alliée à ma formation pratique.
Malheureusement je trouvai très pénibles mes premières expériences.
Mon premier emploi eut lieu avec une entreprise qui effectuait des transformations au sein des usines Citroën.
On me mit en mains un marteau piqueur. Cela m'épuisait.
Le chef du bureau d'études vint protester nerveusement contre le bruit. Qu'y pouvions nous ?
Le chantier était très loin de chez moi. J'en demandai un plus proche.
On me dit que c'était plutôt la règle de travailler loin de chez soi dans le bâtiment, mais exceptionnellement on m'affecta à un chantier dans le centre de Paris.

Le chef de chantier fut intéressé de me recevoir, et me demanda si je savais lire un plan.
Mais il se rendit vite compte que mon esprit était brouillé, et je me retrouvai rapidement à remplir de sable à la pelle la bétonnière, et ceci chaque jour.

Je changeai plusieurs fois d'entreprise, mais ne réussis pas mieux.
Le chef m'avait demandé de lui trouver une planche d'une certaine dimension, pour terminer son coffrage.
Je mis tant de temps à la chercher, les comparant les unes aux autres et les mesurant, que quand je revins avec mon bout de bois, il en avait déjà scié une lui-même et terminé son travail.
Je me retrouvai face à son regard courroucé, puis ne fus plus affecté exclusivement qu'au décoffrage, avec un manoeuvre maghrebin.

J'étais manifestement classé "incompétent" par mes chefs, et de plus je souffrais terriblement d'isolement, car n'arrivais à communiquer avec personne.
Ceux de l'encadrement ne dialoguaient qu'entre eux, et je ne pouvais échanger avec mes compagnons de travail.
Leurs sujets de conversation était :
- leurs performances au travail : ils travaillaient essentiellement à la tâche et se vantaient donc d'avoir pu enduire de ciment tant de m2 de mur en tant de temps.
- le sport (cela ne m'intéressait pas du tout).
D'autre part ils étaient surtout portugais ou maghrebins, et il y avait un problème de langue et de culture.
De plus, souvent, dès qu'ils me voyaient, il me disaient : "T'es pas un maçon, toi !".
J'étais dès le début catalogué.

Enfin, lors des pauses, et quand j'étais dehors dans mon habit de travail, les passants ne me jetaient pas un regard.
J'avais l'impression de ne pas exister, d'être au ban de la société. C'était peut-être cela le plus dur.
Ni accepté par les maçons, ni accepté par les autres.

Je cherche un nouveau thérapeute

Entre temps, je m'étais dit que ma situation de santé mentale ne pouvait plus durer comme ça.
Il fallait que je fasse quelque chose. Mais que faire ?

Je contactai le professeur Blanc, de bordeaux, le premier psychiatre que j'avais vu, et dont j'avais gardé un bon souvenir.
Il n'avait en effet pas réussi à me guérir, mais ne m'avait cependant pas matraqué, comme avait fait l'autre abruti de la clinique privée de Béthanie (excusez moi si je règle un compte !).

Très aimablement il me recommanda à un de ses anciens camarades de fac, le professeur Denicker à l’hôpital Ste Anne.
Ce monsieur trouva mon cas très léger (moi je ne trouvais pas !) et m'orienta vers un de ses jeunes confrères qui, disait-il, avait de brillants résultats en psychothérapie.
C'est ainsi que je rencontrai le docteur André Haim.
C'était un homme grand, bien bâti, à la bouille ronde et joviale, qui avait l'air d'un bon vivant, appréciant la vie.
Il aimait bien bavarder avec les personnes du secrétariat, entre deux clients.
J'aurais préféré quelqu'un de plus sobre, plus discret, plus intellectuel et plus froid. (en fait, qui aurait ressemblé aux quelques photos que j'avais de mon père, que je n'ai pas connu).
Mais je n'avais pas le choix.

Il me proposa d'emblée des entretiens de face à face, avec pour but d'améliorer mes relations humaines, et me donner une "image du père".
Le but me convenait, mais j'aurais préféré une psychanalyse.
J'avais déjà beaucoup lu les ouvrages de Freud, et j'aurais bien voulu mettre à jour tout ce qu'il y avait à l'intérieur de moi, qu'il n'y ait plus aucune ombre.
J'aurais bien voulu connaître le "'pourquoi" de mon problème, et tout remettre en ordre.
Il me répondit que dans mon cas cela ne convenait pas, car à un jeune il valait mieux une relation directe de personne à personne en face à face, plutôt que d'être allongé sur un sofa avec le psychanalyste en retrait derrière.
Ceci allait mieux pour des personnes plus âgées.
J'acceptai donc, et il me précisa en outre que je pouvais faire et dire tout ce que je voulais, mais que je devais rester dans le présent, dans ma relation avec lui.

Du coup cela me laissa un peu pantois, car il ne me restait plus grand chose à dire.
Je ne le connaissais pas, il ne me plaisait pas particulièrement, que pouvais-je lui dire de ma relation avec lui, puisqu'elle n'existait pas encore, et que pouvais-je bien faire dans ce bureau avec une table et deux chaises ?

Alors je restai sans rien dire, et ainsi les séances suivantes.
J'y retournais parce que c'était mon seul espoir.
Je n'étais capable d'envisager rien d'autre.
J'étais face à lui, je me demandais ce que je faisais là, mes pensées tourbillonnaient dans ma tête.
A cette époque, où je travaillais sur les chantiers, mes symptômes s'étaient comme exacerbés, et chaque instant de vie m'était une souffrance.
Je me sentais séparé des autres, isolé derrière mon mur de verre, mon esprit fonctionnait mal, j'avais l'impression d'avoir plein de sable dans les engrenages dans ma tête, cela me faisait comme une douleur physique.
J'avais l'impression que mon corps physique était inexistant, transparent, comme de l'air, et qu'on aurait pu passer à travers moi si je ne m'écartais pas du passage.
Mais je donnais comme une apparence de vie, personne ne pouvait s'en douter en me voyant.
Je ne pouvais bien sûr en parler à personne, et ce cabinet médical était le seul endroit où je pouvais vivre ça, être cru et pris au sérieux par une autre personne.
Je me dis qu'heureusement j'avais au moins cela.

J'y allais toutes les semaines, la séance durait une demi-heure.
J'y allai longtemps, régulièrement, année après année.
Le temps passait et je voyais peu de progrès.
J'allai voir un autre psychanalyste conseillé par mes parents, pour lui demander son avis sur ce traitement.
Il m'interrogea sur le déroulement de mes séances, et d'emblée me demanda si mon psychothérapeute m'avait fait parler de l'époque où je me masturbais.
Un peu interloqué, je lui répondis que non.
Néanmoins, il me conseilla de continuer cette thérapie.
Je continuai donc, et j'en étais à la septième année.
J'étais arrivé à un grand état de confiance avec mon médecin.
Comme s'il m'avait fallu tout ce temps pour être sûr qu'il s’intéresse à moi, malgré que je ne dise rien pendant les séances.
Il me regardait bien en face, me souriait, et quelquefois me prenait la main.
Je passais moi aussi le plus clair de mon temps à lui regarder la figure.
Je détaillais tous les défauts de son visage, trous, poils, points noirs, etc..., et au milieu de tout cela il y avait cependant son regard, si sympathique.
Dans ces entretiens muets il se passait quelque chose de souterrain, comme ces courants d'eau qui traversent la terre, invisibles, mais pourtant bien là. Si on creuse, on les trouve.
Cette relation sans mots m'a finalement aidé, en effet, à améliorer mes relations humaines.
Je me sentais plus en confiance, plus sûr de moi, avec n'importe qui.
J'étais plus décontracté, plus détendu.
Mais mes symptômes habituels étaient toujours présents.
La tête ne fonctionnait toujours pas parfaitement, la sexualité non plus.

Mon thérapeute meurt

Cette veille de vacances, nous nous quittâmes chaleureusement.
Mais j'étais vaguement inquiet.
Je lui dis : "que deviendrais-je, si je ne vous revoyais plus ?"
Il me dit que la relation que nous avions développée ensemble me permettrait à présent d'en développer d'autres, et que je ne serais plus jamais seul.

Ce fut la dernière fois que je le vis.
Quand je voulus reprendre rendez-vous à la rentrée, la secrétaire me dit, affolée :
"Comment, vous n'avez pas su ce qui est arrivé au docteur Haim ?"
Il s'était tué en accident de voiture avec sa femme pendant l'été.

Je fus comme assommé.
Alors que je venais juste de nouer une relation avec quelqu'un, la mort me le prenait.
Je pensais être poursuivi par un sombre destin, puisque la mort m'avait aussi pris mon père, avant que j'aie eu le temps de développer une relation avec lui.
Je songeai à une répétition.

Cependant il m'arriva quelque chose de curieux, qui adoucit ma peine :
La nuit, je rêvai souvent que le docteur Haim m'apparaissait.
Son image était très nette, très intense, il était comme vivant, j'avais du moins cette impression.
Et il me disait, penché vers moi et me regardant avec sa chaleur et sa douceur habituelles :
"Ne t'inquiète pas, Yves, ne sois pas triste. Je ne suis pas mort".
(En écrivant ces lignes, je me mets à pleurer). (et en les relisant aussi).

On me dirigea vers un de ses collègues, qui l'avait bien connu, le docteur Thévenot.
Celui-ci était tout à fait l'opposé.
Grand et mince, encore plus décontracté, il arrivait toujours en retard à ses rendez-vous, sans se presser pour autant.
Il avait toujours la pipe au bec, et ne disait pratiquement rien.
Il n'avait pas de gestes de tendresse et de contact comme le docteur Haim.
Je continuai encore trois ans avec lui, puis n'y retournai plus, sans prévenir.
Je n'eus plus de nouvelles.

J'essaye un thérapeute Jungien.

Je supportais très mal le métier du bâtiment, c'était beaucoup trop pénible, je ne faisais plus que dormir, manger, et travailler, en étant toujours épuisé, sans pouvoir avoir de vie personnelle.
Aussi je décidai de changer, et trouvai un emploi comme vendeur en librairie, chez Gibert Jeune.
Je fus affecté au rayon "facultés" et eus enfin des rapports humains qui me satisfaisaient, avec des collègues de travail sympathiques et des clients agréables.
Je retrouvais le milieu social auquel j'avais été habitué, lycéen et universitaire.

Il me passait entre les mains quantité de livres très intéressants, j'en parlais avec les collègues et les clients, et je rencontrai ainsi les ouvrages de Carl Gustav Jung.
Cela me parla tout de suite, cela me semblait plus clair, plus profond, plus cohérent, plus intelligent, plus vraisemblable, que les ouvrages de Freud.
Encore actuellement, depuis tout le temps passé et l'expérience accumulée, je garde la même considération et la même adhésion dans le point de vue de Jung.
Cependant, je n'ai toujours pas "capté" quelle méthode thérapeutique spécifique on pouvait en tirer.
Si quelqu'un peut me répondre, qu'il le fasse.

Mes deux premiers thérapeutes avaient été freudiens, et leur spécificité était d'être bien branchés, et surtout sur le premier, sur la sexualité.
Il me ramenait souvent sur "qu'est-ce que je pouvais éprouver sexuellement envers lui ?"
Ce que j'éprouvais, c'était surtout la peur de l'homosexualité, et aucune attirance physique particulière.
Il allait même jusqu'à me dire que l'homosexualité, ce n'était qu'une question de conventions sociales, puisqu'il y avait des époques où elle était considérée comme non seulement acceptable, mais faisant partie de la norme sociale.
C'était quasiment suggérer que mon non ressenti sexuel envers lui n'était dû qu'à un refoulement, et n'était pas un vrai sentiment de base.

Aussi un jour, pour le mettre à l'épreuve et dans doute me moquer un peu de lui, au moment où nous nous disions au revoir en fin de séance, je l'embrassai d'une façon appuyée sur la bouche, comme j'aurais pu embrasser une femme.
Il se laissa faire.
Cela ne me donna pas de sensation particulière, et à la fin, il me dit "et alors ?", et me fit un discours sur les vertus de la verbalisation par rapport au passage à l'acte.
Mais nous n'en parlâmes plus et cela ne se reproduisit plus.
Cela me fit prendre conscience qu'il m'avait fallu une sacrée dose de confiance en lui pour avoir osé faire ça.

Je me sentais limité par ce cadrage sexuel, et, empli de mes lectures Jungiennes, qui m'ouvraient un horizon beaucoup plus vaste, je me mis en quête d'un thérapeute jungien.
J'en trouvai un à côté de chez moi, qui plus est le traducteur en français des ouvrages de Jung.
Une personne de référence, en quelque sorte.

Nous eûmes quelques entretiens préliminaires où j'eus l'impression qu'on se mesurait l'un l'autre, sans s'engager ni l'un ni l'autre.
Il me proposa des séances de relaxation.
Je me retrouvai avec d'autres personnes à des séances banales qui ne m'apportaient rien de particulier, au tarif d'une séance d'analyse.
Cela ne me semblait pas intéressant, et j'arrêtai.

Je fus fort dépité de n'avoir pu suivre cette thérapie jungienne, et restai quelque temps sans suivi psychologique.
Mes lectures jungiennes avaient cependant influencé mon psychisme, car je faisais des rêves différents, plus intenses et plus profonds, où je croyais reconnaître les fameux "archétypes".
Pendant ma période freudienne, j'avais noté mes rêves, sans être capable de les interpréter car ils étaient très cahotiques et je n'avais pas saisi la "clé" de Freud.
A présent (et encore maintenant) je ne les notais plus, car je trouvais que les mots ne rendaient pas leur richesse et leur profondeur, je me contentais de me pénétrer de leur énergie, d'essayer de les garder le plus possible dans ma mémoire.

Je me recycle dans la comptabilité

Au bout d'un certain temps dans la librairie, je m'ennuyai, et trouvai que je ne pouvais pas espérer évoluer assez vite sur le plan salaire.
J'avais aussi le souci de retrouver et exercer mes facultés intellectuelles, et me mis en quête d'un emploi de bureau.
J'appris la sténo et à taper à la machine, mais étais trop nerveux et ratai tous les essais d'embauche que je fis.
Je transpirais à grosses gouttes sur mon clavier.
Je me tournai donc vers la comptabilité, et là ce fut plus facile.
En une semaine de cours particuliers avec un ancien séminariste un peu fou reconverti dans l'enseignement de la gestion, j'en sus assez pour trouver un premier emploi.
Je pris des cours du soir et passai mon C.A.P.

J'arrivais à compter mais ma mémoire était toujours très défectueuse.
J'enregistrais des factures à la main dans le journal comptable des achats, mais d'une seconde à l'autre, je ne me souvenais plus ce que j'avais fait.
Il fallait que je sois très organisé, et que dès son enregistrement effectué, je range vite la facture dans un tiroir "factures enregistrées", pour ne pas la confondre avec celles qui ne l'étaient pas encore.
Mon cauchemar était le téléphone.
Je ne me rappelais absolument pas du nom des gens ni de ce qu'ils faisaient.
Il ne fallait absolument jamais que je réponde au téléphone, car j'y restais coi, ne sachant que dire, et on m'aurait pris pour un demeuré.
Heureusement, je travaillais dans une petite société où il n'y avait qu'une comptable et moi, et elle se chargeait de tout ce qui était relation avec l'extérieur.
De temps en temps, elle me considérait un peu bizarrement, mais était très bienveillante, et, comme nous n'étions pas débordés de travail, avions le temps d'avoir des conversations agréables et même profondes.

Cependant au bout de quelque temps là aussi je m'ennuyai.
Je quittai, et trouvai un emploi comme intérimaire.
Cela me distrayait et me changeait les idées d'aller de société en société.
J'eus aussi l'occasion d'y parfaire mes connaissances professionnelles.
Cela me permettait aussi, en ne restant jamais longtemps, d'éviter qu'on ait le temps de se rendre compte de mon état, et de rester à l'écart des autres.
De plus, comme je ne me sentais pas à l'aise ni dans cette profession, ni dans ce milieu, je ne pouvais supporter l'idée d'être embauché pour une durée indéterminée dans une société.
J'avais besoin de savoir que le contrat n'était que provisoire, même si quelquefois il était prolongé de semaine en semaine ou de mois en mois, jusqu'à aller à un ou deux ans.
Je refusais toujours l'embauche définitive, qui m'était souvent proposée.

Puis je fus las de toujours changer et pris un poste dans une société d'import export, très paternaliste et sécurisante, dirigée par un baron, où tout le monde se vouvoyait.
Naturellement, je m'ennuyai ferme, et éprouvai le besoin d’arrêter la comptabilité, de faire quelque chose qui correspondrait à mes goûts.

Il me fallait du temps pour savoir quoi, me réorienter, aussi me mis-je en quête d'un emploi à mi-temps.
1968 était passé par là, et moi aussi, je voulais vivre ma vraie vie.

Cette recherche me mit en contact avec un restaurant macrobiotique , qui me mit au contact de l'association "Nature et Progrès", qui cherchait un enseignant pour les enfants de sa communauté.
C'était inespéré.
J'y allai, mais ils avaient déjà trouvé.
Par contre ils cherchaient un comptable, et je m'arrangeai avec eux.
Moyennant le gîte et le couvert, je leur faisais leurs comptes, et je trouvai un autre emploi à mi-temps dans un magasin de disques et appareils HI-FI.